Claire Brisset
Maurice,
C’est très difficile d’écrire sur toi, à propos de toi, parce que cela oblige à penser que tu n’es plus là et cette idée même paraît absurde, inadmissible en quelque sorte. À la fin de ta vie, ton corps te trahissait, mais ton esprit était toujours là et bien là, toujours curieux de tout, avide de connaître, de comprendre, d’interroger, soucieux des autres. Maurice, j’ai eu la joie de te connaître il y a plusieurs décennies grâce à celui que tu considérais comme ton frère, ton cousin Louis René, qui était un lumineux président de l’Ordre des médecins. J’étais alors journaliste au « Monde » et j’avais bien des choses à comprendre, à analyser, avant de tenter de les décrire. Et toi tu expliquais, tu décryptais. Tu m’as présenté Doris. C’était à New York. Et nous sommes devenus amis, de ceux dont on sait qu’ils seront toujours là. J’ai eu la joie, la grande joie d’être témoin à votre mariage, je ne peux pas oublier ce jour. Après il y a eu Genève où vous habitiez, et où j’étais en poste moi aussi. Toujours, tu essayais de comprendre et d’expliquer les turbulences du monde. Tu faisais partie de ceux, très rares, dont on se dit qu’en quelques phrases il donnait une intelligibilité à ce qui se passait sous nos yeux et qui semblait n’avoir aucun sens, que ce soient de micro-évènements ou des pans entiers de l’histoire, la grande histoire.
Mais jamais tu ne faisais passer les analyses, le fonctionnement intellectuel, devant ce qui fait le sel de la vie, les sentiments, les amitiés, les liens de la famille, la tienne et celle des autres ; jamais tu n’oubliais de t’enquérir de ce qui se passait dans la vie de ceux que tu avais adoptés dans ton cercle. Jamais tu n’oubliais que les évènements recèlent de la drôlerie, même involontaire. Et que les humains recèlent autant de petitesse que de grandeur. J’ai connu Ferney-Voltaire, j’ai connu Banon, surtout j’ai rencontré beaucoup de ceux que tu aimais, ta famille, tes amis. Le sort, le méchant sort, a voulu que je sois à l’étranger quand tu nous as quittés et que je ne puisse pas t’accompagner ce jour où ta famille et tes amis étaient réunis pour te dire au revoir. Si tu avais été encore là, c’est toi qui m’en aurais consolée, comme l’a fait Doris, en me disant « ce n’est pas cela qui compte ». Et comme d’habitude, je t’aurais cru et j’en aurais été apaisée.
Ancienne fonctionnaire de l’UNICEF
Ancienne Défenseure des enfants