Dominique Gros
J’ai eu le bonheur de rencontrer Maurice Bertrand. Il a eu la gentillesse avec son épouse Doris de m’accueillir dans leur maison, de m’offrir leur amitié et de contribuer à mon éducation. Oui je dis éducation car il est difficile aujourd’hui de savoir qui est un éducateur. Maurice Bertrand était un homme important mais il savait prendre le temps d’expliquer, de partager et même de réfléchir avec ceux qui ne l’étaient pas. Sa conscience était libre de tous préjugés mais exigeante de vérité et d’humanité. Et dans ce domaine, il était plus clairvoyant que beaucoup. Il avait anticipé les grandes questions géopolitiques auxquelles nous n’avons pas encore trouvé de réponse parce que nous sommes aveuglés par l ‘idée que ce nous faisons est toujours juste, parce que nous sommes le fruit d’une aventure humaine qui ne se serait au fond jamais trompé. Cet aveuglement n’épargne ni les croyants religieux, ni les sceptiques cyniques. La clairvoyance de Maurice ne se résume pas car elle s’étendait à beaucoup de domaines ; je cite :
«L ’illusion du progrès est tenace. Elle est la condition de notre confort intellectuel. Le fait que le 20e siècle ait été celui des deux guerres mondiales, des régimes totalitaires, de la Shoah et du Goulag, de génocides divers, d’Hiroshima et de Nagasaki, de la terreur nucléaire, de l’indifférence des nantis à l’égard de la misère et de l’ignorance ne gêne en aucune manière notre croyance dans « le progrès de l’esprit humain».
Quand Condorcet écrivait son « Esquisse » sur ce thème, en 1795, l’idée du progrès pouvait encore paraître fondée grâce à la Révolution en cours.
Quand Alexis de Tocqueville, rendant compte de son enquête aux États-Unis en 1834, disait que « le développement graduel de l’égalité des conditions est un fait providentiel; il en a les principaux caractères: il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine; tous les évènements comme tous les hommes servent à son développement », il était encore possible de croire au caractère inévitable du progrès social.
Quand Darwin écrivait en 1859 « L’origine des espèces » on pouvait croire qu’une force mystérieuse poussait l’homme en tête de toute l’évolution vers la domination de l’esprit.
Aujourd’hui toutes ces visions du monde, mélangées ensemble dans une sorte d’épopée, sont ridicules. C’est pourtant ainsi que l’on raconte l’histoire de l’humanité. »
Maurice Bertrand oppose à cette fable aussi dérisoire qu’un mauvais catéchisme, une vérité quasi évangélique : la Fraternité et la foi en l’Homme sans dogmatisme. Elle explique ses engagements, ses choix politiques et philosophiques certainement.
Elle dit aussi pourquoi je peux dire simplement que je l’aimais. Cher Maurice, tu as rejoins dans mon coeur et dans notre mémoire, tous les frères humains qui ont l’espérance de la dignité humaine sans cesse bafouée et toujours retrouvée. Toi qui a été enfant dans ce village pendant tes vacances, puis Résistant dans ces collines, tu étais revenu ici, après une carrière exemplaire à travers le Monde, pour partager et semer : intelligence et bonté. Tu nous laisses Doris, nous essaierons de l’aimer en pensant aussi à toi.
Auteure et réalisatrice