La charité, l'amitié, l'amour
Sur la prééminence absolue de ce que Pascal appelle « la charité », je crois qu’il faut se reporter au texte lui-même. Il écrit :
« Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits ; car il connaît tout cela, et soi ; et les corps rien.
Tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité. Cela est d’un ordre infiniment plus élevé.
De tous les corps ensemble, on ne saurait en faire réussir une petite pensée : cela est impossible, et d’un autre ordre. De tous les corps et esprits, on n’en saurait tirer un mouvement de vraie charité. Cela est impossible, d’un autre ordre, surnaturel. » (Pensées § 829)
Cette formulation appelle quelques remarques, mais avant de les faire, je souhaiterais citer un autre grand esprit, le chercheur Henri Poincaré (le frère de l’autre), qui, dans « La valeur de la science » (1920.chez Flammarion) écrit :
« Tout ce qui n’est pas pensée est le pur néant, puisque nous ne pouvons penser que la pensée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pensées ; dire qu’il y a autre chose que la pensée, c’est donc une affirmation qui ne peut avoir de sens .»
Et cependant — étrange contradiction pour ceux qui croient au temps —, l’histoire géologique nous montre que la vie n’est qu’un court épisode entre deux éternités de mort, et que, dans cet épisode même, la pensée consciente n’a duré et ne durera qu’un moment. La pensée n’est qu’un éclair au milieu d’une longue nuit.
Mais c’est cet éclair qui est tout.
Ces deux textes sont romantiques, chacun à sa manière, dans la mesure où ils expriment une vision idéale du sens de la vie, le triomphe de l’esprit pour les deux, de l’amour pour Pascal. Mais ils posent surtout un problème de vocabulaire. Qu’est-ce que l’esprit, et qu’est-ce que la charité. Ils ne sont pas les seuls à parler de l’âme et du corps.