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La profondeur de notre ignorance


| Maurice Bertrand

Nous adorons le confort intellectuel. Le sommet de la jouissance en ce domaine est la certitude de la détention de la vérité. Celui qui détient la vérité est naturellement supérieur à ceux qui sont dans l’erreur et toute certitude est agréable et rassurante. L’histoire est faite des guerres entre ces certitudes. L’apparition de l’esprit scientifique, du doute méthodique et du recours à la raison aurait dû convaincre les meilleurs esprits que nous ne savons rien, ou en tout cas très peu de choses. C’est le contraire qui s’est produit. Ceux qui croient aujourd’hui à la science croient détenir la vérité et agir en son nom, ce qui est simplement absurde. Et cette situation a des conséquences dramatiques.

Les théories deviennent des dogmes. Les quelques progrès faits dans la connaissance du système solaire, la découverte de l’existence de milliards de galaxies, la constatation de l’évolution des espèces animales, les explorations au sein de la matière, l’observation du fonctionnement des cellules, les révélations des fouilles archéologiques et tout ce que l’armée des chercheurs apporte de nouveau à ce que nous savons, devraient nous convaincre de l’immensité de ce que nous ne savons pas.

Nous ne savons ni qui nous sommes, ni ce que nous sommes venus faire sur cette planète, ni pourquoi ni comment un oeil voit, une oreille entend et un cœur bat. Nous n’avons aucune idée de ce que peuvent être les planètes qui tournent autour de la plupart des étoiles. L’univers, l’existence, l’esprit sont et restent des mystères absolus. L’esprit scientifique devrait conduire à la plus grande modestie.

Or c’est le contraire qui se produit. À l’imitation de nos ancêtres, nous continuons à nous croire supérieurs au reste du monde. Et ce « nous » s’applique aussi bien aux participants des cultures les plus primitives qu’à ceux de la culture occidentale actuelle sous ses diverses formes nationales. Nous avons tous besoin d’être fiers de nous—mêmes.

C’est pourquoi l’idée de « progrès » est très populaire en Occident. Et nous accomplissons le tour de force de la rendre compatible avec celle de perversité de la nature humaine. Il nous suffit de savoir que la génération à laquelle nous appartenons — c.-à-d. les « hommes du 21e siècle », — est supérieure à toutes celles qui l’ont précédée puisque les progrès de la science et des techniques nous dotent d’un savoir et d’une puissance jamais atteints jusqu’ici.