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Le concept de « progrès »


| Maurice Bertrand

Dans les explications communément acceptées de l’évolution sociale, le concept de « progrès » est, sans conteste, le plus ridicule, malgré sa popularité. L’idée que l’humanité n’a cessé de progresser depuis son apparition sur cette terre est admise comme allant de soi. L’histoire qu’on en raconte a commencé avec l’évolution qui a permis au cerveau d’un singe plus malin que les autres de croître en volume et en complexité.

On est passé des australopithèques il y a quelques 7 millions d’années à l’homo habilis (deux millions d’années) puis à l’homo erectus, à l’acheuléen, à l’homme de Neandertal enfin au Moustérien et à « l’homo » généreusement qualifié de « sapiens — sapiens », les volumes de cerveau se développant à chaque étape. Cette évolution a continué avec l’usage et le perfectionnement des outils, comme en témoignent les morceaux de silex taillés puis polis, suivis par le bronze, puis le fer. Et depuis le néolithique, la maîtrise du monde par l’homme moderne dit « sage » n’a fait que continuer avec l’invention de l’écriture, un artisanat de plus en plus ingénieux, puis avec les révolutions démocratique, scientifique, industrielle, post-industrielle et de la communication. Et il est bien entendu qu’il n’y a aucune raison pour que cette marche en avant s’arrête jamais. Il ne peut y avoir rien de plus réconfortant pour nous consoler de nos malheurs, nul ne semblant songer une seconde que ces malheurs justement contredisent absolument la croyance au progrès.

Cette croyance est tenace parce qu’elle satisfait le sentiment de supériorité collective des habitants privilégiés des pays riches. Les hommes qui voyagent en avion et que la pénicilline protège des maladies infectieuses sont obligatoirement supérieurs à leurs ancêtres. C’est le progrès technique et scientifique qui fait leur fierté et qui leur permet de laisser croire aux défavorisés que le développement économique et par suite, social, qui en résultera, résoudra tous leurs problèmes. C’est une agréable combinaison de stupidité et d’escroquerie.

Car, en fait de « progrès » ce que l’histoire, et celle des pays modernes et développés en particulier, a à offrir comme illustrations remarquables, n’est autre en se limitant au siècle précédent et à l’actuel, que deux guerres mondiales, plusieurs génocides, les camps d’extermination, quelques dizaines de régimes totalitaires, des guerres coloniales, l’anéantissement de populations civiles par bombes classiques et nucléaires, le développement des inégalités sociales, le chômage institutionnalisé, la corruption protégée, le maintien dans la misère et l’ignorance de la plus importante fraction de l’humanité, le terrorisme, et l’absence de sens et d’espoir pour le plus grand nombre. Et aucune perspective d’avenir meilleur n’apparaît à l’horizon.

Les types d’hommes que le procès d’évolution de la société a produits, notamment dans la culture occidentale, ont été nombreux et variés. C’est avec l’aide des costumes qu’ils ont tenté de traduire leur vision du monde et leur domination. On a eu par exemple, le chevalier cuirassé de fer, le moine dans sa bure, la femme à crinoline et autres images pittoresques. Mais pour compléter l’évolution et démontrer le sens progressiste de l’évolution rien de mieux n’a été produit pour compléter la filière de « l’homo erectus », que le poilu ou « l’homme des tranchées » qui a vécu au cours de la Première Guerre mondiale dans la boue, les poux, la peur et la mort techniquement et stratégiquement assurée, puis que « l’homme déporté » au cours de la deuxième tuerie mondiale, — squelette couvert de peau —. « L’homme nucléarisé » d’Hiroshima et de Nagasaki — cadavre sanguinolent en cours de décomposition — atteint provisoirement le sommet du périple. Nul ne sait si l’avenir donnera la préférence à « l’homme kamikaze » ou à « l’homme obèse et satisfait de son embonpoint ».

Progrès en vérité, si l’on donne à ce mot le sens d’une marche en avant résolue et triomphante vers l’absurde. Il est sans aucun doute temps de ne plus confondre progrès technique et évolution erratique de la culture dominante. Mais pour cela, il est nécessaire de constater que la foi dans « la science » est aussi irrationnelle que celle du « progrès ».